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Éléonore Louvieux

Histoires courtes ou à suivre - Photographies

Qui parlera d'eux... ?

     Dans l’Emission politique du 04 mai 2017, Michel Houellebecq était invité à parler des élections présidentielles. A ce propos, il reconnaissait : « la deuxième France (…) la France périphérique qui hésite entre Marine Le Pen et rien, je me suis rendu compte que je ne la comprenais pas, que je ne la voyais pas, que j’avais perdu le contact ; et ça quand on veut écrire des romans c’est une faute professionnelle assez lourde ». Face à la force et l’importance d’un tel aveu - très touchant en fin de compte - , voir la journaliste qui lui fait face sourire comme si c’était une agréable anecdote m’a semblé insupportable. Et, en y réfléchissant, j’ai pris conscience de mon côté de la gravité de la situation actuelle en France. Et j’ai pensé à ces écrivains qui parlent des autres et surtout qui parlent de ceux qui ne parlent pas d’eux-mêmes… les plus pauvres, ceux qu’avant on nommait les misérables… Certes, tous les « pauvres » ne votent pas pour Marine Le Pen, mais il est quand même assez évident que les ouvriers, les paysans, les « socialement défavorisés » se sont massivement tournés vers elle…. Et en pensant à cette partie de la population, une réalité effrayante m’est apparue…

 

     Cet aveu de Houellebecq est à la fois réconfortant et très inquiétant. Réconfortant car il est toujours rassurant d’entendre des gens intelligents avouer leurs erreurs, leurs oublis ou leurs fautes. En l’occurrence, il s’agissait pour l’auteur de signaler comme il le dit, une « faute professionnelle » car on ne peut en effet rien lui reprocher d’autres. Et cette faute, s’il la reconnaît, combien sont-ils non seulement à ne pas l’admettre, mais plus encore à ne même pas en être conscients ? Presque tous les écrivains actuellement publiés en France.

     Mais cet aveu comme je l’ai dit est aussi, et surtout, inquiétant pour les citoyens et pour les lecteurs. Car si l’on peut espérer de Michel Houellebecq qu’il essaye de pallier cette erreur, on devine qu’on ne peut avoir les mêmes attentes des autres et surtout pas des journalistes qui devraient être les premiers à s’en soucier et faire tout leur possible pour garder le contact avec cette deuxième France, non pas pour partager sa misère mais au moins pour la comprendre.

     Lectrice depuis mes plus jeunes années, j’ai découvert en partie le genre humain grâce aux romans. En effet, les romans du XIXe siècle ont offert à leurs lecteurs une analyse pointue du genre humain sous toutes ses facettes : les bourgeois, les ouvriers, les paysans, les riches, les pauvres, les instruits, les analphabètes, les bons, les mauvais… Les romanciers, s’ils ne connaissaient pas la misère paysanne par exemple étaient néanmoins capables d’en parler et savaient quelles pénibilités les paysans subissaient. On ne leur demandait pas de vivre comme eux, de se priver de leur confort, ils n’avaient pas besoin de cela pour voir et écrire - c'est-à-dire mettre la plume là où cela fait mal - ; les grands auteurs se sentaient le devoir de faire ce qu’ils pouvaient pour dénoncer les abus et essayer d’apporter une amélioration.

     Quand Victor Hugo écrit Les Misérables, il veut faire acte de salubrité publique : « Tant qu’il existera, par le fait des lois et des mœurs, une damnation sociale créant artificiellement, en pleine civilisation, des enfers, et compliquant d’une fatalité humaine la destinée qui est divine ; tant que les trois problèmes du siècle, la dégradation de l’homme par le prolétariat, la déchéance de la femme par la faim, l’atrophie de l'enfant par la nuit, ne seront pas résolus ; tant que, dans de certaines régions, l’asphyxie sociale sera possible ; en d’autres termes, et à un point de vue plus étendu encore, tant qu’il y aura sur la terre ignorance et misère, des livres de la nature de celui-ci pourront ne pas être inutiles. » écrivait-il dans la préface de son roman en 1862. Son intention était clairement expliquée : être utile afin d’améliorer par tous les moyens (et surtout par l’éducation) le sort des plus malheureux. Dont il ne faisait pas partie, mais qu’il connaissait pourtant. Et il les connaissait si bien que Valjean, Fantine et Cosette ne sont pas seulement des personnages, ils sont des symboles. Car le monde était plein de Valjeans, de Fantines et de Cosettes. Et Victor Hugo le savait.

     On pourrait poursuivre cette idée avec Maupassant, Zola et tant d’autres… Mais on ne pourrait plus la poursuivre avec les romanciers d’aujourd'hui. Aujourd'hui si peu d’écrivains connaissent ces Misérables, qui existent pourtant toujours. Et ceux qui les connaissent sont si peu publiés. Aujourd'hui, la misère ne fait vendre que si on a le sentiment de son unicité. On s’attriste sur une personne, un nom… dans la mesure où on a le sentiment qu’il s’agit d’une exception. A un tel point d’ailleurs que cette misère est surtout acceptée quand elle celle d’un homme ou d’une femme qu’un journaliste peut mettre en exergue. Ou bien on nous présente les populations éloignées qui subissent dictature et oppression et le lecteur se dit qu’il a bien de la chance de vivre là où il se trouve… Mais plus personne ne parle des pauvres… comme si, à l’inverse de ce que V. Hugo voulait faire en montrant que la misère est partout et nous entoure, on voulait aujourd'hui nous donner l’impression qu’elle est exceptionnelle et souvent le fait d’une « cause »… Bref, il y a une raison à cela.

     Les journalistes auraient pu compenser et prendre la relève des écrivains déficients mais ils n’en ont rien fait. Ils ne connaissent pas non plus cette misère et ils ne la comprennent pas. Ils ne savent donc pas en parler et ces derniers mois nous en ont donné la preuve.

     V. Hugo fut le premier auteur à recevoir des funérailles nationales. Son cercueil fut déposé sous l’arc de triomphe et la population toute la journée vint lui rendre hommage. Il suffit de regarder les photographies de cet événement pour comprendre à quel point la population entière fut touchée : un grand homme venait de partir, qui savait si bien écrire sur eux et parler d’eux. Certes, cet événement fut utilisé par la suite à des fins politiques mais il va de soi que les hommes et femmes venus rendre hommage à cet écrivain étaient pour la plupart simplement conscients de l’impact majeur que son œuvre avait eu.

     Quel auteur désormais pourra se vanter de réussir ce tour de force ? Quel auteur pourra penser qu’il a permis d’améliorer le sort de ceux qui vivent à côté de lui, sans qu’il les voie ? Peut-être Michel Houellebecq puisque lui au moins en est conscient…

 

© Éléonore Louvieux.

 

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