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Éléonore Louvieux

Histoires courtes ou à suivre - Photographies

Bigue - Partie 1, Chapitre III

              Le 04 août 1984, Isabella poussa son premier cri. Giuliano était aux anges : il avait une fille et elle était parfaite pour le prénom qu’il lui avait choisi. C’était le prénom de sa grand-mère et il n’avait pas eu à insister auprès de Jacqueline : cette année-là, Isabelle Adjani avait reçu le César de la meilleure actrice. Jacqueline la trouvait magnifique, éblouissante ! Alors, Isabella ne pouvait que lui convenir : c’était le prénom et l’initiale du nom de la célèbre artiste. On ne pouvait espérer mieux et à nouveau, le cinéma fut mis à l’honneur. A nouveau, les grands-parents le furent également. Et Isabella, Victoire (la mère de Jacqueline était née en 1918), Antonietta fut inscrite sur les registres de l’Etat civil. Néanmoins, malgré ce beau début, on vit très rapidement qu’Isabella n’était en rien aussi remarquable que son frère. Elle avait le temps de changer, se répétaient les parents. Surtout Jacqueline, Giuliano s’inquiétant assez peu de cela. Tant que tout le monde était en bonne santé sous son toit, il n’avait rien d’autre à désirer.

           Et les parents ne désirèrent en effet rien d’autre pendant un long moment, Pendant plusieurs années mêmes.

          John poussait comme un champignon. Les professeurs qui l’avaient en classe s’attachaient tous à lui : il était toujours de bonne humeur et faisait ce qu’on lui demandait sans jamais rechigner. L’adjectif « facile » semblait avoir été inventé pour lui. Il apprenait tout rapidement, avec aisance. Il se mit à écrire et sut lire avant d’entrer en classe primaire. On le louait. Il semblait s’en moquer, seulement heureux du bonheur de ses parents. Heureux, ses parents l’étaient en effet. Tout était parfait. Ou presque.

          Avec Isabella, les choses n’allaient pas de même. Elle se montrait souvent capricieuse et son humeur était bien souvent bougonne. Pour les parents, la situation était nouvelle et les déstabilisait un peu. Ils n’étaient pas habitués à un tel comportement mais ils l’affrontèrent, essayant de surmonter les doutes et de trouver un juste équilibre entre les deux enfants. Ce n’était pas chose facile : Isabella leur demandait beaucoup de temps et d’énergie. Parfois Jacqueline le lui reprochait, l’invitant à prendre John comme exemple. Celui-ci ne disait rien alors, se contentant de s’écarter, comme s’il ne voulait pas faire de la peine à sa petite sœur.

          Il l’aimait bien en effet cette petite sœur ; il s’occupait d’elle, passait beaucoup de temps à jouer avec elle, cédait presque toujours à ses caprices. Plus tard, quand il fut assez grand et que sa mère lui demandait d’aller chercher le pain, il acceptait avec plaisir qu’elle l’accompagne. Il marchait à son pas et prenait son temps car avec ses grandes jambes, elle devait faire trois pas lorsqu’il n’en faisait qu’un. Quand sur le chemin, on lui demandait comment s’appelait cette petite fille à qui il tenait la main, il répondait fièrement : Isabella Djani. Il avait entendu sa mère prononcer un jour le nom de l’actrice et avait cru que c’était le nom de sa petite sœur. On souriait. On le trouvait « tellement adorable ».

          Et un jour, John alla chercher le pain tout seul. Il pleuvait beaucoup et sa mère à cause de cela ne voulut pas qu’Isabella l’accompagne. Elle ne voulait pas qu’il sorte, lui non plus mais il insista pour y aller : il n’avait pas peur de la pluie, il n’en avait pas pour longtemps et avait envie de marcher et puis il voulait lui rendre service car elle était très occupée. Elle se laissa convaincre, se disant qu’il ne fallait pas être trop protectrice, que ce n’était que de l’eau… il n’y avait que deux rues à traverser et John était toujours très prudent… et puis elle était heureuse au fond de voir que son fils était aussi serviable. Il partit tout seul, rassurant pour la troisième fois sa mère qui lui disait, alors qu’il fermait la porte d’entrée, d’être prudent.

          Mais prudent… le chauffeur qui arriva ne l’était pas : il allait trop vite, n’était pas attentif, s’énervait de ce qu’il entendait à la radio et essayait de changer de station. John s’était assuré que personne ne venait sur sa gauche et il traversa. Il n’avait pas regardé à droite : la rue était en sens interdit. Mais le chauffeur était pressé, voulait aller au plus rapide. Il savait qu’en prenant cette courte rue presque toujours déserte, il s’épargnerait un grand détour. Il n’hésita pas et tourna brusquement. La haute taille et les épaules massives du garçonnet de onze ans disparurent et cette haute silhouette sembla bien petite et fragile alors. John fut envoyé à plus de quinze mètres. Le bruit avait été terrible. Les voisins commencèrent à regarder par la fenêtre, sortirent, s’approchèrent. L’un d’eux appela les secours de chez lui. On alla chercher Jacqueline ; Giuliano travaillait.

           John était inerte sur la chaussée, inconscient. On ne pouvait même pas savoir s’il respirait encore. En arrivant sur place, Jacqueline ne put supporter ce qu’elle voyait. Elle fut prise d’un tremblement insupportable et s’évanouit. Une voisine alla immédiatement chez elle pour s’occuper d’Isabella, qui n’avait que six ans et ne pouvait rester seule. Il fallait en outre éviter qu’elle sorte pour rejoindre sa mère.

            Enfin, les secours arrivèrent et ils emmenèrent John.

        Pendant tout ce temps, le chauffeur était resté assis sur un bord de trottoir et répétait mécaniquement : « Je suis désolé ; je ne l’ai pas vu. Je suis désolé ; je ne l’ai pas vu… ». Il avait au front une petite blessure, un léger trait d’où s’échappait un mince filet de sang, mais personne ne pensait à s’approcher de lui pour lui demander s’il allait bien.

Les pompiers firent ce qu’ils pouvaient pour sauver le petit John mais ils furent impuissants ; les blessures étaient trop nombreuses, trop graves. John décéda au moment où le véhicule des secours arrivait à l’hôpital.

John Filippo Charles s’éteignit le 20 mars 1990 ; ce petit garçon quitta la vie avant même de comprendre le sens de ce mot, laissant derrière lui vide et désespoir.

 

 

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